Le café de spécialité et ses origines

Lorsque nous achetons du café, nous nous demandons souvent de quel pays il est originaire, quels sont ses arômes, sa corpulence et, bien sûr, nous nous attardons sur son prix. Nous regardons également s’il y a un logo qui nous indiquera si ce produit est issu de l’agriculture biologique ou du commerce équitable. Ces certifications garantes d’une agriculture plus propre ou d’une économie plus humaine et respectueuse des producteurs sont chères à notre cœur. C’est pour cela qu’on peut s’étonner à juste titre de ne pas forcément retrouver ces certifications chez nos torréfacteurs montpelliérains préférés. A la place de celles-ci, on trouve des paquets de café dits « de spécialité ». Mais au fond, qu’est-ce que le café de spécialité ? Qu’est-ce qui le différencie des autres cafés plus « ordinaires » et pourquoi son prix est-il plus élevé que le café de consommation standard ?

C’est ce que nous allons essayer d’expliquer dans cet article.

Aux origines du café de spécialité

Afin de mieux comprendre la structure actuelle du marché du café, il nous faut revenir aux origines. Si les plus vieilles références connues rapportent une consommation de café dès le 9ème siècle en Éthiopie, la culture du café, pour être consommé sous forme de boisson, a pris son essor au 15ème siècle dans les monastères soufis au Yémen. Comme souvent, c’est par les guerres et les échanges commerciaux que le café va ensuite se répandre à travers le monde.

Aujourd’hui, de Vienne à Seattle, en passant par Paris, Londres ou Venise, le café n’est plus un produit exotique transporté par les caravanes mais une boisson du quotidien, accessible et présente dans la vie de tout un chacun. Cet incroyable engouement mondial ne s’est pas fait sans douleur : de nombreux conflits religieux, politiques ou commerciaux viennent entacher son histoire. Comme l’écrivait déjà en 1773 le célèbre botaniste Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, de retour des colonies françaises, « […] Je ne sais pas si le café et le sucre sont nécessaires au bonheur de l’Europe, mais je sais bien que ces deux végétaux ont fait le malheur de deux parties du monde. On a dépeuplé l’Amérique afin d’avoir une terre pour les planter; on dépeuple l’Afrique afin d’avoir une nation pour les cultiver […] ce qui sert à vos plaisirs est mouillé des pleurs et teint du sang des hommes […] ». Si le sort des cultivateurs de café n’est heureusement plus d’être esclaves, la production de café, longtemps soumise aux désidératas des colons, est désormais soumise aux lois du marché international.

Le marché du café aujourd’hui

Désormais, les producteurs de café sont soumis à ce qu’on appelle le C-Price, le prix du C-Market. Initialement développé à la fin des années 60 par des producteurs d’Amérique Centrale pour différencier leur produit, principalement du café brésilien, le C-Price est maintenant le prix standard de référence du café Arabica sur le marché mondial des matières premières, à la bourse de New York. Le café est considéré dans ce cas comme une « commodité », une marchandise interchangeable, au même titre que le coton ou le pétrole. L’avantage principal d’un marché boursier comme le C-Market est d’assurer une certaine fluidité dans les échanges de marchandises, le producteur étant sûr de pouvoir vendre sa marchandise et l’acheteur d’acquérir une certaine visibilité sur les tarifs, la plupart des contrats étant établis via l’ICE, l’Intercontinental Exchange. Le fait d’avoir un prix standard de référence est également utile, mais ce système présente de nombreux défauts.

Les inconvénients de ce marché mondialisé

Le premier inconvénient flagrant est que, dans ce cas, tous les arabicas sont considérés comme « équivalents », peu importe leur origine, leur variété, la sélection lors de la cueillette, etc.

Évidemment, le marché permet des nuances, notamment selon la qualité gustative du café, mais elles sont trop vagues et restent insuffisantes. Autre problème majeur, la valeur du C-Price est soumise aux aléas du marché et notamment aux spéculations boursières. Le marché du café étant réputé pour être particulier volatile, de nombreux producteurs se trouvent beaucoup trop souvent dans la position où leur récolte n’est tout simplement pas rentable. Parce que les coûts de production du café ne sont pas pris en compte dans la valeur du C-Price, tout le travail de l’année fait souvent perdre de l’argent au producteur au lieu d’en gagner. Dans ce cas, quel est son intérêt? Face à cette situation, pourquoi devrait-il essayer d’améliorer la qualité gustative de son produit ? Pourquoi prendre le risque d’être plus sélectif s’il n’y a pas de retour sur investissement ? En d’autres termes, comment rendre attractif un travail difficile, sans visibilité, et qui ne rapporte pas grand chose ? Chiffre très parlant : l’âge moyen du producteur en Colombie est de 56 ans. Cela fait ainsi plus d’une génération que ce métier n’attire plus; la plupart des producteurs sont notamment très réticents à l’idée que leurs enfants reprennent la plantation familiale.

Des évolutions dans le bon sens mais …

Face à ce problème, plusieurs réponses ont émergé. De nouveaux acteurs, désireux d’aller dans une autre direction, mettent en place des certifications pour améliorer la vie des producteurs et les protéger en partie des aléas de la bourse. Ainsi, on a vu de nombreux labels arriver,  comme « Fairtrade”, “Rainforest Alliance”, Organic trade association”, Commerce équitable”, etc. Ces organismes sont une évolution notable pour les producteurs et aussi pour les consommateurs. Les uns voient leurs conditions s’améliorer et les autres peuvent user plus consciemment de leur pouvoir d’achat. Cependant, ces progrès ne sont pas, à notre avis, suffisants pour rééquilibrer la balance et redonner plus de pouvoir au producteur. Par exemple, le fameux label Faitrade – Max Havelaar garantit le paiement d’un prix de base qu’il considère comme soutenable (actuellement 1,4$/livre), et forcément supérieur au C-Price. Le label fixe également un supplément de 0,2$/livre, qui doit être obligatoirement investi dans l’amélioration des infrastructures et des projets sociaux. Malheureusement, dans la grande majorité des cas, ces augmentations ne suffisent pas à rendre la vie des producteurs confortable, ni à les inciter à améliorer significativement leurs méthodes de production. Qui plus est, même si la notion de prix plancher est intéressante, cette augmentation s’inscrit fondamentalement dans un système boursier d’offre et de demande ; le modèle économique s’améliore mais reste le même.

Parmi les principales critiques, le commerce équitable s’adresse structurellement à des coopératives, alors que certaines fermes souhaitent ou veulent garder leur autonomie. Une autre critique majeure adressée à ces organismes est leur manque de transparence : il n’y a pas de garantie que l’argent va bien aux personnes concernées sans être détourné par la corruption, souvent endémique dans les pays producteurs. Enfin, le commerce équitable n’a pas pour objectif d’améliorer la qualité gustative des produits.

Le café de spécialité : un choix assumé par Café Bun pour vous proposer le meilleur des cafés au juste prix pour tout le monde

La réponse : le café de spécialité

C’est pour toutes ces raisons que progressivement quelques acheteurs se détournent de ces modèles. Si le marché ne propose pas assez de transparence, d’équité ou de satisfaction gustative alors autant créer son propre modèle : le café de spécialité. La Speciality Coffee Association of America (SCAA) a ainsi été créée en 1982, principalement par des professionnels proposant déjà ce qu’ils appelaient du « gourmet » coffee. Cette association est un regroupement de professionnels qui travaillent avec minutie et passion à l’amélioration du café sur toute la chaîne de production. L’objectif est non seulement l’excellence gustative mais également la volonté d’une production plus éthique. Le travail commence auprès des producteurs afin qu’ils puissent vivre convenablement, investir, et s’affranchir du C-price.

Afin d’atteindre ces objectifs, une meilleure rémunération, de la transparence tout au long de la production, de la communication et de l’organisation font partie des éléments clefs de la réussite. Ces outils permettent à chaque acteur de l’industrie du café, consommateur inclus, de prendre conscience du coût de production et, sur le long terme, d’être prêt à investir convenablement sur un marché plus équitable et de meilleure qualité. Car il faut bien prendre conscience que la qualité gustative du café de spécialité existe grâce à une rémunération premium et un minimum stable des producteurs. Ceux-ci investissent dans leur production si elle leur assure un quotidien agréable et un avenir correct. Or, pour considérer cette rémunération comme premium, il faut en amont connaître toutes les variables qui entrent en ligne de compte dans les coûts de production du café. Une fois ces informations récoltées et publiées, les acheteurs sont plus facilement en capacité de choisir en conscience le café qu’ils souhaitent vendre. La transparence est au cœur du débat du café de spécialité, nous y consacrerons un prochain article afin d’expliciter et de mettre en lumière leurs nombreuses missions des importateurs de café vert.

Ensuite, afin de développer cette chaîne vertueuse, les torréfacteurs et les baristas entrent en jeu. Les premiers, ayant pour rôle de faire des choix éclairés sur l’origine du café qu’ils souhaitent acheter, ils leur incombent de torréfier précisément le café vert afin de révéler toute la complexité des arômes propres à un terroir. Les seconds, qui sont à la fin de la chaîne de production, ont pour rôle d’utiliser leur expertise afin extraire le café afin d’en faire une boisson délicieuse. Ce rôle est d’autant plus important qu’il légitime auprès des consommateurs tout le travail réalisé en amont par les multiples acteurs de l’industrie. Comme ils sont au plus près des clients, ils ont aussi pour responsabilité de les sensibiliser.

Enfin, le dernier acteur de l’industrie du café de spécialité, c’est nous tous. Nous, buveurs de café, qui décidons quasiment tous les jours de développer un cercle vertueux ou non. Nous qui nous questionnons sur le produit que nous consommons et que nous achetons.

En conclusion, le café de spécialité est une réponse face aux enjeux rencontrés par les acteurs de l’industrie du café. Toutes et tous ont pour objectif l’amélioration gustative du café et des rémunérations plus élevées. Ce nouveau modèle permet de s’en approcher en investissant dans la recherche, l’amélioration constante de la production et, bien sûr, en valorisant financièrement de telles démarches.

Cependant, il n’existe pas de réponse simple et unique face à un problème prenant en compte autant d’acteurs que de législations différentes. C’est pourquoi il est impossible de garantir 100% de transparence ou de promettre aux consommateurs un produit absolument éthique de A à Z. Comme le commerce équitable, le café de spécialité est critiquable et est loin de résoudre tous les problèmes. Néanmoins, celui-ci tente de replacer les producteurs au centre de ses préoccupations. Le café de spécialité est ainsi, à ce jour, le modèle le plus vertueux de la consommation de café, c’est pourquoi il est de notre responsabilité collective d’encourager ce nouveau modèle, sans jamais cesser de le questionner.

Pour aller plus loin:

  • Les routes du café de Philippe Goyvaertz
  • The world atlas of coffee de James Hoffman

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